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Article publié dans la revue "Acropolis", n° 198/199 de mai-août 2007, pp 26-28.

Rencontre avec...
Hélène Marinetti

Le sanskrit, le son et le sens, de l'être humain à l'être divin

Propos recueillis par Marie-Agnès Lambert

Hélène MarinettiDiplômée de latin-grec, Hélène Marinetti est partie en 1968 à la découverte de l'Inde, et ce fut le point de départ de sa passion pour le sanskrit et la culture indienne. Elle nous raconte son cheminement intérieur.

Acropolis : Comment avez-vous découvert votre passion pour l'Inde ?

Hélène Marinetti : En 1968, je suis partie pour la première fois en Inde, à l'aventure, et j'ai senti immédiatement une exaltation, un bonheur, une certitude intérieure. A mon retour, j'ai commencé l'étude du sanskrit à la Sorbonne, ainsi que celle du Hindi et du Tamoul à l'Institut des Langues Orientales. En 1970, je suis repartie en Inde, avec mon futur époux, et nous y avons vécu sept ans, à New Delhi principalement. Nous avons bien sûr voyagé partout en Inde, travaillé et étudié. Mon premier fils est né en 1975. Avant de revenir en France, en 1977, nous avons passé une année à Lonavla, dans un centre réputé de Yoga, où nous avons étudié en profondeur la pratique du yoga et les textes sanskrits relatifs à cette culture.

A. : Comment s'est passé votre retour en France ?

H.M. : Nous avons ouvert un magasin diététique, étudié la naturopathie. Mon deuxième fils est né. Après quelques années, j'ai choisi de continuer seule sur mon chemin. J'ai vécu pendant huit ans près d'un monastère de rite syriaque, étudiant aussi l'hébreu et la kabbale. Cet endroit était vraiment extraordinaire, magique. On y goûtait la présence du sacré, du silence, de la paix. L'accueil et la bonté des moniales y étaient exceptionnels. Tout en vivant au village proche, avec mes fils, j'ai fait un retour aux sources, retrouvant l'essence de la Tradition chrétienne. L'Inde, qui avait été mise un peu de côté, est ensuite revenue en force. J'ai pu apprécier avec plus de profondeur, le message universel que le sanskrit véhicule, le sanatana Dharma. Sans plus rien rejeter, recherchant sur la base de toutes ces connaissances, la Tradition-Une et fondamentale, si perceptible dans la culture védique.

A. : Qu'est-ce qui caractérise le sanskrit ?

H.M. : Le sanskrit est une langue sacrée et vibratoire. Elle est le véhicule de tous les textes sacrés, du Véda (qui signifie connaissance), textes transmis par des sages (rishis) aux hommes qui vivent dans la période du kali-Yuga (1), c'est-à-dire nous ! Ces textes sont là pour renforcer notre foi, illuminer notre conscience, nous apporter la sagesse et la connaissance. Dans l'Inde ancienne, la grammaire était une voie de connaissance et de purification. On l'appelait "la porte du salut". Au premier abord de l'étude, l'intellect est dans le labeur, la difficulté, mais si on dépasse ce stade, on trouve toujours en filigrane derrière un mot, le lien avec le sacré. Quelques millénaires avant J.-C., le Véda était enseigné et transmis oralement dans la caste des brahmanes, prêtres enseignants et ritualistes. L'écrit est arrivé plus tardivement. Si on prend le Rig Veda, par exemple, le Livre des Hymnes, ces textes étaient récités pendant les rituels et les sacrifices, et relèvent de la parole divine. La récitation devait en être impeccable, à l'accent près. Dès l'âge de sept ans, le petit brahmane en commençait l'apprentissage par coeur. La transmission se faisait par le souffle, en apprenant directement des lèvres de l'instructeur, et pendant dix ans, il apprenait le texte de façon quasi mécanique, pour arriver à la parfaite maîtrise.

A. : Y a t-il un sens au-delà des mots sanskrits que l'on prononce ?

H.M. : Bien sûr ! Dans le Shivaïsme, on dit que le divin est la Conscience (lumière parfaite de la connaissance, de la sagesse) en même temps qu'Énergie (le pouvoir inhérent à cette conscience). Savoir et Pouvoir, Conscience-Énergie, Son et Sens, sont complètement reliés, et constituent le socle de cette spiritualité indienne. La conscience est le sens, le dessein de l'ordre divin, et le son est la vibration qui manifeste le sens. Son et sens sont totalement indissociables, comme le feu et son pouvoir de brûler (c'est une image du Shivaïsme, justement).

A. : Le sanskrit peut-il donc se chanter ?

H.M. : Ce n'est que du chant, de la vibration, tout est transmis selon des rythmes et des cycles. Tout est mouvement, tout est vibration, énergie. À l'origine se trouve le spanda, vague d'énergie, de conscience qui manifeste l'univers. L'homme étant lui-même un microcosme, ce spanda se déploie aussi en lui à chaque instant, du plus subtil au plus grossier, à travers le souffle, le prana, souffle cosmique et individuel, souffle de vie.

A. : Quelle est la racine du mot "sanskrit" ?

H.M. : Le mot "sanskrit" signifie parfait, perfectionné. Mot banal de la langue, il a fini par désigner la langue savante par rapport au prakrit, qui est la langue courante, en proie aux transformations et à la décadence. Le sanskrit classique est une langue qui s'est perpétuée d'une manière parfaite, fixée en 400 av. J.-C. par le grand grammairien Pânini. C'est la langue des textes épiques, du Védanta, encore utilisée aujourd'hui pour la rédaction des textes scientifiques ou philosophiques, par exemple.

A. : Pouvez-vous nous parler du vocabulaire sanskrit ?

H.M. : Il est d'une richesse formidable. On peut former des mots à l'infini. Par exemple, il y a plusieurs mots sanskrits pour désigner "la pensée", rendant compte de différents aspects de ce mot et des plans de conscience impliqués.

Parmi eux, on trouve Manas, mental perceptuel relié aux sens ; Citta, qui est plutôt l'étoffe consciente, comprenant aussi l'inconscient et la mémoire ; Caitanya est un niveau de conscience supérieure ; Cetas pourrait se traduire par l'esprit réflexif ; Buddhi est l'intellect discriminant, capable d'intuition ; Dhî est la pensée, mais Tarka est pensée qui doute, examine, etc. Ce sont les mots les plus habituels. Ces différentes racines peuvent être associées à des préfixes qui en affinent, développent ou orientent le sens : MAN, CIT, BUDH, DHÎ, TARK, etc. De plus, le même mot peut prendre des sens différents, variant selon le système philosophique, l'époque, l'auteur même. Le mot MÂYÂ en est un exemple. Dans le Veda, il désigne l'univers manifesté (ce qui est "mesurable" exactement) ; dans le Vedanta, c'est la grande enchanteresse qui crée l'illusion. Différents niveaux de langage, qui ne s'excluent pas mais ajoutent du sens, au contraire. Chaque mot est une brique subtile, pour construire un pont vers l'éternité.

A. : De quoi est composé un mot sanskrit ?

H.M. : La plupart du temps, un mot sanskrit es formé à partir d'une racine, qui a presque toujours un sens d'action. Cette racine sert de base pour former toutes sortes de mots, à l'aide de préfixes et de suffixes, par dérivation, comme dans toutes les langues indo-européennes. La polysémie du sanskrit est remarquable. Souvent le même mot peut avoir plusieurs sens : un sens de base, qui peut se décliner, sur le plan de la psychologie, de la vie spirituelle, désignant aussi un art, une fleur ou un arbre, un animal ou un astre. La variabilité est quelquefois déconcertante, casse-tête pour les traducteurs. Mais cette ouverture du champ sémantique, cette constellation de sens rend cette langue fascinante. Elle nous parle de l'Unité d'une vie unifiée, non fractionnée en une multiplicité de compartiments étanches. Elle communique la vie qui se poursuit, sans rupture, de plan en plan. Présence constante de ce fil sacré qui relie tous les plans de conscience.

A. : Comment enseignez-vous le sanskrit ?

H.M. : J'enseigne le sanskrit depuis vingt ans. J'ai mis au point un cours par correspondance d'à peu près mille pages et une vingtaine de cassettes audio, ce qui m'a demandé cinq années de travail. Mes élèves mettent également quatre à cinq ans à le parcourir ! Il faut ressentir un appel, une sorte de vocation, disposer de temps et être persévérant si on veut étudier le sanskrit.

A. : Qui sont ceux qui apprennent le sanskrit ?

H.M. : Ceux qui montrent de l'intérêt sont souvent des enseignants et pratiquants yoga, des thérapeutes, énergéticiens, des linguistes ou amateurs de langues, des chercheurs spirituels. Parmi mes élèves, il y a ceux qui font le cours par correspondance, à leur rythme, et aussi ceux - ce sont souvent les mêmes - qui suivent mes cours et séminaires, dans le sud, pour pratiquer d'une manière vivante le chant, l'étude des textes et de la langue. La vibration du sanskrit est toujours au centre de ces activités.

A. : Que recherchent-ils ?

H.M. : L'étude de cette langue concerne tous ceux qui sont à la recherche d'une conscience plus claire, d'un intellect plus lumineux, ceux qui désirent aller au-delà des apparences, pour se relier à une vérité plus haute, par l'intuition. C'est une rencontre avec la Beauté, la Transcendance. L'expérience de la vibration des Mantra (2) est transformante. On touche à l'essentiel, à la vérité et à la force. On va toucher la lumière, le divin.

A. : Pouvez-vous expliquer ce concept de lumière ?

H.M. : La racine DIV signifie "briller, être lumineux". Le mot latin dies vient de cette racine sanskrite. Notre mot "Dieu" dégage tout à coup un sens particulier, lorsqu'il résonne avec le sanskrit : dieu, c'est la lumière. Le mot Deva signifie "être de lumière", éternel et puissant gardien de l'ordre cosmique. Les Deva mentionnés la Bhagavad-Gîtâ représentent aussi les fonctions de nos organes de connaissance. Dans l'oeil, dans l'oreille, dans le nez... se trouve un petit dieu, gardien des portes, qui capte ce qui vient à la conscience, éclairant notre champ d'expérience. Il faut veiller à bien le nourrir ! D'un mot et de sa constellation de sens et d'usages, on passe de l'expérience individuelle à une conscience universelle, parce que tout est relié, tous les plans, de l'humain au divin. Dans le shivaïsme, on dit que chaque syllabe de l'alphabet est une matrice, une petite mère - mâtrikâ -, où réside l'éclat de la conscience. C'est ainsi que cette langue véhicule la lumière, ou le divin.

Quelle merveille !

J'ai une devise : "Samskritam sukham". Le sanskrit est délice.


(1) Mesure hindouiste du temps qui dure 432 000 ans.
(2) Dans l'hindouisme et le bouddhisme, support de méditation, formule très condensée, ou série de syllabes assemblées en fonction de leur seule efficience magique intrinsèque, répétée de nombreuse fois suivant un certain rythme.
 
Hélène Marinetti - Professeur de langue sanskrite, de chant et philosophie indienne
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